dimanche 16 mars 2008

Bonjour dépression

C'est étrange son regard. Comme il est loin parfois. Ses yeux flous qui me rendent vaporeuse. Et son visage, qui sourit, mais à l'envers. Il paraît que, là où elle est, c'est le pays des larmes. Moi je dis souvent qu'elle a l'âme fantôme. L'âme qui s'échappe des parois charnelles et du monde palpable. L'âme absente.
Sur la table de la cuisine, il y a des monticules de médicaments derrière lesquels elle disparaît : des boites miracles, des boites soucis, des boites je-suis-fatiguée, j'ai-mal-à-la-tête, j'ai-mal-dans-le dos. J'ai-mal-tout-court. Des boites de maux et de larmes. Personne ne s'en doute, mais la vérité est là: les médicaments désincarnent. Ce n'est plus qu'un corps, pantin désarticulé dont les médecins, les laboratoires pharmaceutiques, les psychanalystes tirent les ficelles. Ceux là même qui prescrivent et re-prescrivent, signent et re-signent des ordonnances médicamenteuses, qui l'abreuvent de rendez-vous thérapeutiques et de comment-ça-va-aujourd'hui, qui vendent des panacées de bonheur en pilule, au poids de son malheur et s'enrichissent sur son intarissable affliction. Eux, le corps médical. Eux, le corps et non le coeur. Ce sont des gourous de tristesse. La secte, insoupçonnée et légalisée, la plus perverse du monde. De mon monde.
Cela fait dix ans maintenant. Dix ans qu'ils l'ont prise. Dix ans d'une vie somnambulique. Dix ans qu'elle me manque. Et qu'ils m'ont rendu une étrangère, comme un succédané de maman.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'adore ce que tu écris, même si c'est quelque peu mélancolique, voir triste, ça reste très beau.
Il faudra que tu m'écrives une chanson. ;-)
Greg

Anonyme a dit…

Très beau, et si triste, sans être pathétique, tout en délicatesse. Et qui s'achève en beauté avec comme dernier mot "maman", un envol, et l'instant, un texte si humain, merci.