samedi 29 mars 2008

Inanité

Je me réveille encore dans une maison vide. C'est le silence qui me réveille. Un essaim lourd de bruits absents, de vaisselles qui ne s'entrechoquent plus, de sons qui manquent, de voix familières, perdues, de petits déjeuners, fantômes. Je n'entends plus l'odeur du café, vibrante, sifflante, crissante, qui monte à la porte de ma chambre et frappe l'heure du lever. Mes paupières s'ouvrent sur une pièce sombre, sur des volets, ébènes et épais, qui engorgent la lumière. De mes yeux gris, de mes pupilles nébuleuses, je regarde cet abîme béant, lentement, habiller les murs de ses hardes spectrales et les laver de toute vie, lessivés, déteints, par la pâleur funeste de la vacuité. Je me vois déjà, arpenter les couloirs déshumanisés, l'âme en peine, errant parmi les débris d'un lieu anéanti. Je me vois flotter au milieu de pièces dévastées, et observer les ruines des rires passés. Il n'y a plus désormais que l'éclat insonorisé du présent. Pesant. Comme le pendule d'une horloge qui s'arrête.
Ces matins-là, chez moi, c'est toute la triste ville d'Hiroshima. C'est comme mourir. C'est le néant qui atomise votre toit et explose vos fenêtres, qui s'engouffre et engloutit les meubles, les objets, les souvenirs, et vous, à l'intérieur, démunie, avec votre frêle sourire, et votre solitude, vous devenez ce champ de bataille, dépenaillé, en haillon de chagrin, où le froid qui règne vous insuffle la peur. Et la désolation. Et l'horreur. Je me réveille encore dans une maison vide.



Qui disait déjà, "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé" ? Je lui aurais volontiers demandé: "_ Et s'il en manquait plusieurs ? £t si jamais... ?"

vendredi 28 mars 2008

L'amour des noeuds

£t alanguis, nous restions sur ce lit, emmitouflés dans la voix de Damien Rice. Etendus, immobiles, lovés l'un contre l'autre. Mes cheveux rayonnant sur ton épaule comme les chutes d'or d'Islande. Ton coeur chuchotait quelques battements au creux de mon oreille et ma main, fixée à ta poitrine, diagramme de ton affection, éprouvait doucement ta respiration. Je t'aimais dans un murmure, dans un souffle, dans une expiration. Ton menton, tes lèvres, piquaient délicatement mon front et sondaient mes pensées pour me soustraire le faix de la parole. Et peu à peu, je voyais le paysage changer. Les murs de la chambre s'abaissaient comme les vitres teintées d'une voiture s'ouvrent sur le monde, et le plafond, en apesanteur, se désagrégeait dans l'atmosphère. Te souviens-tu comme on voyageait alors ? Notre matelas, souvent, se posait sur une plage, et nous nous blottissions dans le vent iodé de Bretagne, les vagues et leurs écumes, les rochers et les coquillages, c'était la toile de fond qui nous enveloppait, notre couverture soyeuse. Et puis soudain, on était dans une barque, au milieu d'un lac, à demi allongés sous le ciel, des cygnes et le bruissement des saules pleureurs, heureux. Ou assis au bord de cette falaise, tes bras autour de moi, devant un crépuscule d'avril. Ou une kyrielle d'autres tableaux aux touches romantiques que je pourrais dépeindre. Oui, nous traversions les horizons ensemble, t'en souviens-tu ? Notre lit était semblable au bateau dont je rêve; il voguait aux quatre coins du globe, sur les eaux sereines du bonheur. Mais à ton air, je vois bien que tu ne t'en souviens pas. Toutes ces beautés pittoresques que tu n'as pas pu voir. Toutes ces pensées que je ne t'ai pas confiées. J'étais seule à son bord. Seule sur le pont à regarder l'aurore d'un rêve. Je flottais sur un songe...
J'avais fait de nous un noeud; un noeud si parfaitement arrimé, enlacé, entortillé; un noeud torsadé de jeans, de jambes, de pieds; nos jeans, nos jambes, nos pieds; et je nous avais liés jusqu'à en oublier que j'avais eu un jour un corps. Un corps à moi, qui m'appartient, une corde pouvant s'amarrer n'importe où dans le monde. J'aurais bien pu me pendre avec, à défaut d'être pendu à ton cou. Mais j'ai préféré renouer avec la réalité. Tout le monde se perd un jour, non ? Alors, seule, avec ma corde, j'ai continué mon voyage, et je me suis attachée à accrocher mon âme, n'importe où, là où j'ai pied, là où je peux marcher et avancer, c'est ça l'important, et quand j'aurais parcouru toutes les mers et tous les océans, toutes les terres de tous les continents, j'aurais enfin trouvé le point d'ancrage qui manque à ma vie.

lundi 17 mars 2008

Météo sentimentale

J'avais de la pluie dans les yeux. C'était comme la saison des moussons en Inde. En plus froid. Comme une fâcheuse tendance à ressembler aux chutes du Niagara.
Vous voyez, ces porteurs d'eau, autrefois. Moi aussi, je traînais mes seaux. Je les portais un peu partout de peur d'inonder les gens.
C'est eux. C'est lui, là. Ou c'est juste moi peut-être.
Je m'étais enlevé le soleil. Il me gênait, il me grillait les yeux. J'ai eu peur de me laisser trop longtemps sur le feu et de me réveiller un matin, le coeur calciné. Satané soleil qui asséchait mes nappes phréatiques. Et mon chagrin qui s'évaporait ! Je n'avais pas envie de bronzer et de reprendre des couleurs. Mes teintes à moi, c'était le blanc, le noir et l'entre-deux. J'ai toujours eu du mal avec la lumière. Je crois que je suis simplement photosensible. C'est vrai, toutes ces photographies trop exposées, du temps heureux, à deux, ces images de bonheur qui vous brûlent la peau et les yeux, c'est douloureux. C'est des souvenirs qui finiront par vous éclabousser. Une source de malheur. Du papier glacé. Une photographie, si on y réfléchit, c'est beau et triste à la fois. C'est le serment solennel d'une vie perdue. D'une lueur perdue.
J'ai préféré l'éteindre toute seule, moi, le soleil. Je n'ai pas voulu attendre que le temps passe. Il me restait suffisamment de réserves en eau souterraine. Alors je l'ai noyé, je l'ai assassiné, je l'ai enterré. Sous la tonne de boue et de gravats. Je lui ai dit adieu au beau temps et à ce maudit bonheur. Quelques gouttes dans les yeux et les iris en nuage.

J'en ai passé des après-midi à éponger. J'ai étanché l'eau sale et fait le ménage dans mes prunelles. Elles étaient pas prêtes, avant. Il y avait trop de choses qui les obstruaient. Mais maintenant, elles sont toutes propres, toutes neuves, toutes belles. Elles vont pouvoir briller sans peine. Comme deux soleils...

dimanche 16 mars 2008

Bonjour dépression

C'est étrange son regard. Comme il est loin parfois. Ses yeux flous qui me rendent vaporeuse. Et son visage, qui sourit, mais à l'envers. Il paraît que, là où elle est, c'est le pays des larmes. Moi je dis souvent qu'elle a l'âme fantôme. L'âme qui s'échappe des parois charnelles et du monde palpable. L'âme absente.
Sur la table de la cuisine, il y a des monticules de médicaments derrière lesquels elle disparaît : des boites miracles, des boites soucis, des boites je-suis-fatiguée, j'ai-mal-à-la-tête, j'ai-mal-dans-le dos. J'ai-mal-tout-court. Des boites de maux et de larmes. Personne ne s'en doute, mais la vérité est là: les médicaments désincarnent. Ce n'est plus qu'un corps, pantin désarticulé dont les médecins, les laboratoires pharmaceutiques, les psychanalystes tirent les ficelles. Ceux là même qui prescrivent et re-prescrivent, signent et re-signent des ordonnances médicamenteuses, qui l'abreuvent de rendez-vous thérapeutiques et de comment-ça-va-aujourd'hui, qui vendent des panacées de bonheur en pilule, au poids de son malheur et s'enrichissent sur son intarissable affliction. Eux, le corps médical. Eux, le corps et non le coeur. Ce sont des gourous de tristesse. La secte, insoupçonnée et légalisée, la plus perverse du monde. De mon monde.
Cela fait dix ans maintenant. Dix ans qu'ils l'ont prise. Dix ans d'une vie somnambulique. Dix ans qu'elle me manque. Et qu'ils m'ont rendu une étrangère, comme un succédané de maman.

dimanche 9 mars 2008

Fil rouge

Aujourd'hui, je suis allée te voir à l'hôpital. Je savais pas quoi t'offrir. Qu'est-ce qu'on offre à quelqu'un qui va mourir ? Alors, je suis allée à la mercerie. Et je t'ai acheté une énorme pelote de fil. Tu m'as regardé, tu as souri, tu as eu l'air de dire merci.
Je veux que tu t'en sortes, je t'ai murmuré. Tu as fait un petit mouvement approbateur de la tête. Tes yeux un peu humides. Ou les miens peut-être.


Je parlais tout bas. Je voulais déjouer ses plans avec ma pelote de fil. J'avais longtemps pensé qu'il ne s'agissait que d'un mythe. D'une histoire qu'on raconte aux enfants pour les effrayer gentiment. Pas d'une réalité. Ce n'était pas, comme je le croyais, des murs de pierres, anciens et sacrés, mais des murs en plâtre, écaillés et vétustes. Il n' y avait pas de torches enflammées, mais un réseau entremêlé de lumières blafardes issues de néons défaillants. Un de ces éclairages qui vous rend nauséeux et fébrile. Ce n'était pas non plus un sol en terre brute, mais un sol sombre recouvert de lino noir qui fait crisser vos pas. Non. Ce n'était pas tout à fait comme je l'avais imaginé. Une chose, seule, restait immuable. C'était ces invariables galeries tortueuses, entrelacées et inextricables, qui à chaque embranchement, à chaque détour, vous font espérer la vie. Ces même tracés sinueux qui, à tout moment, peuvent vous mener dans cette antre monstrueuse et mortelle qu'est la maladie et la mort. Ces couloirs sinistres qui se superposent et s'enchevêtrent.

Oui, ce n'était pas un mythe. Ce n'était pas vraiment un labyrinthe, c'est tout.
C'était simplement un hôpital.

_C'est cette histoire du Minotaure, tu sais, je t'ai dit. Je croyais que c'était des mensonges. Le monstre, le labyrinthe... J'avais pas compris. C'était vrai finalement. Cet hôpital en fait, c'est un peu notre dédale. La mort, notre Minotaure. Tu vois, j'ai pas voulu t'offrir des ailes. Pas déjà. Je voulais pas que tu sois Icare. Alors voilà, je me suis dis : une pelote de laine. Oui, une pelote de laine. Tu la déroules et tu suis le fil de mes désirs, comme Thésée pour Ariane. Tu y accroches ta vie aussi fort que tu peux. Et tu t'en sors...


Et tu t'en sors.

Puisque la vie ne tient qu'à un fil.


jeudi 6 mars 2008

La diététique du coeur

Je suis au régime. J'ai été voir une diététicienne et elle m'a dit: "_Faut vous restreindre niveau amour, vous en avez gros sur le coeur." Et c'était vrai. Des kilos et des kilos. Oui, j'en ai avalé des bêtises. Toujours enrobées de sucres. Des phrases mielleuses. Des petites douceurs. Et même des papillons, c'est pour dire. J'ai été trop gourmande. Au début, je trouvais ça bon, mais très vite, ça a fini par m'écoeurer. Tout ces "je t'aime", c'est indigeste. Ca pèse lourd sur l'estomac, ça vous donne des nausées et au final on dégurgite. On tombe malade et pas qu'un peu. Parfois, c'est des mois et des mois de cure de désintoxication pour s'en guérir.
Oui, je suis au régime. Je remettrai pas le couvert. Fini les croissants au lit et les dîners en tête à tête. Et toute cette nourriture aphrodisiaque. Ca m'a gavée tout ça. Trop de crises de foi(e).


"_Encore un peu d'amour ?
_Non, merci, j'en peux plus ! "


Oui, c'est décidé. L'amour, je n'en reprendrai plus.
J'y crois plus.

samedi 1 mars 2008

De la littérature sexualisée

Regardez-la, elle meurt.

Il l'aime à s'en bouillir le sang. Comme un chat écorché, des traces félines dans le dos. Et sa peau sous ses doigts. Il la mord, elle le griffe. A pleine bouche, rouge aux ongles. Deux corps grenats l'un contre l'autre; l'étreinte se resserre. Quelques lambeaux de tissus jonchent le sol, déchiquetés, décharnés, écartelés aux quatre coins de la pièce-Les vêtements mutilés des deux amants- La nuit aiguise ses incisives, la nuit les vampirise. Elle diffuse dans leurs veines quelques gouttes de Rabelais. "Sucer la substantifique moelle", happer son âme et l'avoir dans la peau. L'essentiel, c'est de suer sang et eau. Alors, la chambre, fournaise, étuve, s'empourpre de l'odeur capiteuse des vapeurs amoureuses. Ce ne sont plus que des animaux, enfiévrés, enragés, avides de chair fraîche, qui dépècent la vie à vif, et la dévorent toute crue. Saignante, cinglante. Jusqu'à la satiété. Rassasiés, encore haletants, les noctules restent ainsi plantés là. Comme un pieu dans le coeur. £t la petite mort, douce et lascive, se propage dans leur tombeau charnel. Ils savent que les rayons du jour consumeront bientôt leur désir et que les cendres licencieuses viendront empoussiérer, peu à peu, leur amour concupiscent.

Regardez là, dans ses bras !
Elle est morte...



(NB: L’orgasme est appelé « petite mort ». C’est l’écrivain Georges Bataille qui invente ce terme dans son roman “Madame Edwarda”. Cette analogie peut être expliquée par le fait que l’orgasme est une suspension provisoire du manque et du désir, comme la mort qui abolit toutes les tensions de la vie.)